- Hey man you look like the guy of 24!
- Kiefer Sutherland?
- Yes, that’s right man! Kiefer Sutherland, you look like him!
- Come on vraiment ? Thank you beaucoup!
   C’était aux Etats-Unis dans un ascenseur. Le pays où les gens se parlent dans les ascenseurs, et ne se tirent pas une tête d’Holocauste contrairement à la France. Du coup j’étais content après cette déclaration d’un basketteur black de deux mètres, aux bras qui faisaient le tour de ma cuisse. Cela fit ma journée. Dire que je ressemble à Jack Bauer ça va, ce n’est pas le Prince Charles ni Elephant Man. Un jour on m’a sorti Robert Redford jeune : alors là autant dire que ma journée s’avérait réussie, même si je subodorais que la personne souffrait d’un problème d’ordre ophtalmologique ! Une fois à la fac, en France, un quidam estudiantin m’a sorti une ressemblance avec Laurent Romejko. Je n’ai rien contre cette entité météorologique, mais d’un coup, je suis devenu moins content, comme une envie de casser la machine à café.

L’attaché(e) de presse, une entité journalistico-relationo-publique à part. Tous les journalistes les adorent. Surtout les journalistes célibataires comme moi. Car ce sont le plus souvent des dames. Un coup de fil d’une attachée de presse, c’est encore plus excitant que le 3615 Ulla. Leurs cordes vocales saisissent une voix suave, grâce à laquelle l'homme de presse se transmute en centre du monde, l’impression d’incarner la petite statue à la con sur le gâteau de mariage, d’être celui qui découvre la fève. Parfois, lorsqu’une attachée de presse fait se trémousser mon portable, je ne décroche pas. L’occasion d’ouïr le délectable message qu’elle abandonne sur le répondeur, telle une bouteille à la mer, m’implorant de la rappeler. Mais une attachée de presse est à double tranchant. Car une fois fiché dans ses dossiers, elle ne vous lâche plus. Même lorsque vous vous êtes extirpé du journalisme ! Un ancien journaliste reconverti en cultivateur de sucre de cannes a de fortes chances de décrocher son téléphone, et de distinguer au milieu des flatulences aériennes de moustiques et scènes de ménages de macaques,

- Bonjour, Mélodie Lahaie des Editions Bernard Chaudasse, avez-vous lu le dernier livre de Tristan Turlute je pourrais vous le faire parvenir…

Oui elles affichent souvent des patronymes sensuels.

- Ah mais je ne suis plus journaliste mademoiselle, je cultive des cannes à sucre maintenant !

- Ah bon, ben alors qu’es-ce que vous faites encore dans mes fiches ? BIP BIP BIP…

Les attachées de presse, c’est bien aussi de les percevoir physiquement. Elles vous accueillent comme si vous aviez guéri d’une simple imposition de paluches un peuple entier de la peste bubonique. En vérité, ce sont elles qui déploient des supers pouvoirs ahurissants. Elles reconnaissent le journaliste immergé dans un amas de convives. Prodigieux. Comme si j’avais une balise de détresse lumineuse plantée dans les fesses. A l’instar des pigeons, elles renferment une espèce de détecteur radar dans les cloisons nasales, et chargent naturellement sur le journaliste comme un kamikaze japonais sur un porte-avion américain en 43. Evidemment, qui dit biosphère journalistique, dit ratés. Celles qui ne vous fournissent jamais la photo correcte, qui se trompent dans l’heure d’une manifestation ( !), qui sont aussi polies qu’une porte de prison bulgare, infectes (incroyable), vicieuses, qui vérifient en appelant le directeur de la rédaction que vous travaillez bien pour tel journal. Pour ces dernières, on devrait dire professionnelles. 

Le directeur artistique dans un journal, quel qu’il soit, c’est mon personnage préféré. Pour ceux qui apprécient la série 24 heures, le « DA » revêt pléthore de similitudes avec le rôle de Chloé. Pour les autres, c’est tout simplement parce qu’il répond toujours présent, a toujours les miches posées près de son bureau, et les réponses impeccables aux sollicitations ou interrogations métajournalistiques d’un pigiste. Un problème de maquettiste, le directeur artistique m’oriente.

- Y’a une couille dans la maquette non ?

- Pas de problème Juju, je m’en occupe de ta couille, je la supprime !

Un souci de photo, pas grave, le directeur artistique connait tous les photographes, à l’instar de Massimo Gargia et les people has-been.

- Bon je n’arrive pas à joindre machin le photographe, tout va tomber à l’eau mon dieu c’est la fin des temps journalistiques je suis damné sauvez-moi du jugement dernier médiatique !!

- Pas grave Juju, j’ai son Tam-Tam perso, je l’appelle direct, puis je peaufine tout ça avec lui.

Le directeur artistique incarne un peu la pierre angulaire d’un journal. Il assume parfois le rôle de médiateur entre les journalistes et les secrétaires de rédaction, lors des conflits ouvert qui déboulent souvent entre ces deux espèces journalistiques.

- Putain mais merde je me suis encore engueulé avec une secrétaire de rédaction !!

- Pas de problème Juju, je la connais bien, si tu vois ce que je veux dire, je vais lui en toucher deux mots, ça va s’arranger.

Encore mieux, lui seul sait discourir avec les rédacteurs en chef pour faire passer une idée soumise par le journaliste.

- Ah la la Charlie n’a que faire de mon sujet, tu veux pas le convaincre ?

- Bien sûr Juju je vais lui en chatouiller deux mots quand je mangerai avec lui, je vais lui évoquer les bonnes illustrations qu’on a.

Il résout tellement de complications, qu’on est tenté de lui solliciter l’impossible !

- Dis moi tu n’aurais pas un CDI de journaliste en stock quelque part ?

- Hein Juju mais t’es fou ou quoi ! Tu as pété les synapses là ! Y’a pas marqué “De Nazareth” sur mon front !

Le directeur artistique, un être formidable, aux pieds bien cloués sur la terre journalistique.

                      
          Les sublimes mirettes azuréennes de l’attachée de presse s’extirpent des portes de l’ascenseur. Je suis instantanément pris d’affection pour la gestion des détritus citadins que sa société se coltine. Je l’escorte vers la salle d’interview, la célèbre cafét, pour un exposé très Prozac sur les agissements de sa boîte.

- Vous avez des yeux prodigieux, dis-je entre deux laïus sur le traitement des eaux urinaires, vous devriez faire des photos sérieusement, du genre produits lentilles !

- Euh ? Ah euh merci c’est gentil, mais cet article sur le recyclage ça vous intéresse ou pas?

- Moi oui, cela dit je vais vous énoncer une règle toute simple.

Et de lui dérouler comme un rouleau Lotus la litanie du pigiste. Un pigiste est tout le temps intéressé, or celui-ci requiert l’aval du rédac chef, sinon toute la mécanique ancestrale de la pige se grippe !

Je dois couvrir dans l’après-midi un casting public de Sous le soleil. Ni une ni deux, je soumets à la jeune donzelle l’idée saugrenue de tenter sa chance !

- Je vous emmène au casting de Sous le Soleil, vous avez vraiment toutes vos chances !! Vous voulez faire du cinéma mademoiselle ?

- Euh, ah oui ? Je sais pas si j’ai le temps de toute façon.

- Meuh si, allez venez !

Mon fantastique argument ayant fonctionné, elle m’accompagne en slalomant entre les crachats de la pluie, et les déjections canines mouillées à l’effet patinoire. Une selle de chien en bouillie humide par temps pluvieux, procure non seulement une fragrance poivrée anti-séduction, mais peut surtout vous rompre la jambe. On débarque devant une longue file composée de jeunes filles naïves, qui pouffent bêtement et qui se voient déjà titiller leur micro-bikini devant les caméramen obsédés de Sous le Soleil. J’en capture quelques-unes dans mon filet journalistique pour l’article. « Expérience humaine formidable », « Pour rigoler hi hi hi », « J’avais rien d’autre à faire », « J’ai toujours voulu être actrice ! », « Je veux voir ma tête à la télé », « Euh, je sais pas hi hi hi ». Le tout dure une vingtaine de minutes. Mon esprit, qui mixe Comédie française et la série phare de TF1, projette soudainement sur mes rétines une vision apocalyptique : Jeanne Moreau aujourd’hui en topless sur une plage, le maillot négligé et son maquillage suintant, qui me braille « Viens Juju me mettre de la crème ! ». Insolation journalistique. Il est temps de rentrer.