J’écoute Bon Jovi à fond dans mes oreilles tandis que je file vers Sciences Po. Oui, tout le monde a ses tendances obscures, je le confesse (je parle de Bon Jovi pour le coup). La chanson me fait oublier les crottes de chien en sorbets qui investissent le trottoir, et me transporte sur la Highway 101 en Californie, les cheveux longs au vent, en criant… « Alwayyyyyss ».
Je débarque à Sciences Po pour y suivre un cours. Pardon, une « Conférence de Méthode » comme on dit là-bas, c’est plus classe. L’entrée est en effervescence, hors période d’examens ou de manifestations, synonyme de phénomène ubuesque en cours. Un débat politique a lieu ici ! Ni une ni deux, je fonce aux toilettes pour me transformer en Juju le pigiste, sortir mon appareil photo et tout le toutim. Et ingurgiter un coup d’eau rapide la tête à l’envers sous le robinet. Mais j’entends un cri de soulagement, de plaisir derrière moi. Je fixe le miroir et me frotte les yeux. Là, face à un des urinoirs immaculés et recouverts de petites annonces, en train de couler un bronze, le numéro deux d’un des quatre grands partis politiques de l’Hexagone ! Le représentant d’un parti très connu, justement en train de s’occuper de sa partie la plus intime. Un politicien est donc un être humain, constitué de chair et de sang, ça j’en ai la certitude à présent. Compte tenu du son proféré et de mon esprit de pigiste mal tourné, j’ai d’horribles doutes quant à la nature de l’action qu’il est en train d’effectuer. Je me dirige vers l’urinoir à côté de lui, et me rassure en entendant un son limpide, classique et naturel d’écoulement liquide. En cas contraire, j’aurais déjà vu le titre, « Mr X se branle à Sciences Po !».
L’instant reste tout de même saisissant. L’homme me remarque et commence à me livrer très gentiment sa vision de la campagne, tandis, désolé aux âmes sensibles, qu’il s’égoutte au dessus de l’urinoir. Il fixe le mur blanc devant lui et me lance, « Je vous le dis, il va y avoir un sursaut des Français, et une grosse surprise. Il le sait de toute façon, et il ne fera rien contre. Non, vous croyez pas hein ? ». Il tire la chasse, en disant « Oh oui, une grosse surprise à l’élection, ils vont tous être sur le cul, mais bon c’est le jeu !». Les urinoirs favorisent la discussion. Un phénomène typiquement masculin. Un endroit où tout le monde a un pied (ou autre chose) d’égalité, que ce soit le numéro deux d’un grand parti politique ou un humble et honnête pigiste.
« Je peux vous prendre en photo ? Dehors naturellement ! »
« Ah bon vous êtes journaliste ? Putain mais vous êtes jeune !».
« Ben oui, un journaliste fait aussi pipi, c’est un être humain avant tout, même si parfois vous en doutez »
Il franchit ma sphère privée, en l’occurrence à moins de vingt centimètres de mon nez, et me dis d’une haleine en harmonie avec l’endroit,
« Mais bon hein tout ceci est OFF hein. N’allez pas écrire que je pisse sur les Français, ou une connerie dans le genre. C’est OFF hein ? Ok ? Vous travaillez pour L’Express ? »
« Ben euh non, pour le Journal X ».
Qu’est-ce que cette histoire de L’Express ?! Voici la deuxième personne à croire que je travaille pour L’Express. Peut-être un sosie là-bas…C’est surtout pour Ma Pomme Magazine que tu travailles quand t’es pigiste oui. L’homme-politicien tire les manches de son costard afin de se laver les mains. Plus de savon, comme souvent.
« Bon ben tant pis ! » dit-il en nouant sa jolie cravate et examinant dans le miroir ses trous de nez.
Puis il retourne à l’urinoir et retire la chasse car tout n’est pas parti. Histoire de bien récolter quelques millions de bactéries supplémentaires. Les journalistes me voient sortir en train de rigoler avec le numéro deux d’un grand parti : ils me fusillent du regard. C’est interdit de pisser avec un homme politique ?
Puis voir le numéro deux, les mains encore infestées de bactéries, serrer les mains des participants aux débats, de ces adversaires, me fait sourire intérieurement !
Mais je me vois l’accès refusé à la salle du débat. Moi ?! Un représentant du peuple journaliste ?! A l’époque, je n’ai pas encore en ma possession ma carte de presse. Je me transforme en Hulk, intérieurement bien sûr, car en vrai je suis aussi blanc qu’un flash d’appareil photo et aussi épais qu’un roseau OGM. Le vigile me regarde de haut en bas. « Je suis le fils de X » lui dis-je en indiquant au pif et du menton le groupe de débatteurs. Il me laisse entrer !
J’assiste au débat, branche mon lecteur MP3, prends des notes, mate une scripte super jolie, joue avec mon chewing-gum en le collant sur mon palais, regarde le plafond et y aperçois une armée de cartouches d’encre vides collées avec du papier mâché. Un peu surpris de voir ce genre d’amusements à Sciences Po…
Mon homme-politicien, et ses congénères, entonnent leur discours robotisé. Même si je préfère la version « toilettes » du discours, j’avoue que le personnage m’est très sympathique. Première victoire du côté obscur sur l’innocent Juju le Pigiste… A la fin de la bataille de postillons, les candidats se lèvent, se serrent les mains. Je me focalise spécialement sur la main de mon politique des toilettes. Deux, trois, quatre, cinq, six ! Des poignées de main par dizaines ! Jamais vu un politique aussi proche du peuple : la preuve, il leur confie ses bactéries ! Quelle générosité. Je préfère machinalement lui faire un signe de la main, par précaution et aussi en souvenir de notre rapprochement urinaire. Car aujourd’hui, plus vraiment de chances que l’on partage les mêmes toilettes…Mais au moins aux prochaines élections, je sais que je devrai me laver les mains avant de prendre les bulletins et voter. Ou après ?
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